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Me Rhéaume Perreault, CRIA, Adm. A.,

Me Rhéaume Perreault, CRIA, Adm. A.,

  2018 | 04 | 26

Dommages moraux de 4 000 $ pour un questionnaire médical d’embauche trop intrusif !

Plusieurs employeurs demandent à leurs candidats en entrevue de remplir des questionnaires médicaux afin de s’assurer qu’ils sont aptes à combler un poste. Est-ce toujours légal? Cela dépend. En effet, ces questionnaires doivent être conformes aux dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne (ci-après la « Charte »). Notamment, les questions doivent être reliées aux aptitudes nécessaires pour le travail. Selon une décision très récente, si le questionnaire est trop intrusif et les questions n’ont aucun lien avec le travail, le candidat en question pourrait réclamer des dommages moraux pour compenser le préjudice subi.

  1. Les faits

Le Tribunal des droits de la personne (ci-après le « T.D.P.Q. ») a rendu une décision importante sur ce sujet dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (A.A.) c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides (Centre de santé et de services sociaux de Thérèse-de-Blainville)[1].

La plaignante a soumis sa candidature pour le poste de psychologue en santé mentale auprès d’adultes au Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides (ci-après l’« Employeur »). L’une des étapes du processus de sélection et d’embauche de l’Employeur implique que les candidats doivent remplir un questionnaire médical. Les réponses à ce questionnaire sont évaluées par un infirmier après avoir rencontré le candidat. L’infirmier doit subséquemment faire une recommandation au comité de sélection par rapport à l’aptitude du candidat à remplir le poste en question.

La plaignante a suivi ce processus et a même été convoquée pour une  deuxième entrevue. Cependant, elle a décidé de retirer sa candidature en raison du contenu du questionnaire médical, qu’elle trouvait choquant. Selon la plaignante, le questionnaire de 8 pages était très intrusif parce qu’il contenait des questions ouvertes, non limitées dans le temps et portait sur tous les systèmes physiologiques. Elle prétend qu’il n’y a aucun lien entre les questions et la profession d’un psychologue. La plaignante souffre d’une condition médicale particulière qu’elle a dû dévoiler dans le questionnaire, ainsi que d’autres informations personnelles, comme le nom de ses médecins traitants. La plaignante « a craint que si le poste lui était offert, son nouvel employeur puisse lui formuler des demandes contraires à ses valeurs »[2]. Se sentant humiliée et trompée par les questions demandées, elle n’a eu d’autre choix, à son avis, que de retirer sa candidature.

La plaignante considère qu’elle a « perdu » cette opportunité à cause du questionnaire intrusif et a déposé une plainte auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (ci-après la « Commission »). Elle allègue dans sa plainte que l’employeur a enfreint les articles 4, 5, 10 et 18.1 de la Charte qui se lisent comme suit :

« 4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.

18.1. Nul ne peut, dans un formulaire de demande d’emploi ou lors d’une entrevue relative à un emploi, requérir d’une personne des renseignements sur les motifs visés dans l’article 10 sauf si ces renseignements sont utiles à l’application de l’article 20 ou à l’application d’un programme d’accès à l’égalité existant au moment de la demande. »

La Commission, qui représente les intérêts de la plaignante, réclame des dommages moraux et des dommages punitifs et demande que le T.D.P.Q. émette plusieurs ordonnances en lien avec le questionnaire.

  1. Le questionnaire

Lors de l’audience, l’Employeur admet que le questionnaire rempli par la plaignante n’est pas conforme aux articles 4, 5, 10 et 18.1 de la Charte pour le poste de psychologue. Cependant la T.D.P.Q. a tout de même fait une analyse dudit questionnaire et a fait le commentaire suivant :

« [136] La lecture du Questionnaire médical révèle en effet que plusieurs des questions qu’il contient ne sont pas directement et rationnellement en lien avec les aptitudes ou qualités requises pour un poste de psychologue.

[137] Il en est ainsi concernant les questions sur l’âge du candidat, le nom de ses médecins traitants ou spécialistes ou même le nom des autres professionnels de la santé consultés. Il faut en arriver à la même conclusion concernant les questions ouvertes sur les blessures, accidents, maladies, médicaments ainsi que concernant la revue systématique de l’entièreté des systèmes du corps humain, sans perdre de vue que ces questions constituent également une intrusion injustifiée dans la vie privée du postulant.

[138] Par question ouverte, il faut entendre des questions à formulation très large qui requièrent des informations qui ne sont pas ciblées dans le temps. Ainsi, une question telle que « Avez-vous déjà été hospitalisé? » est non seulement sans lien avec le poste de psychologue, mais de plus, par sa formulation beaucoup trop large, constitue une atteinte au droit à la vie privée du postulant. »

La T.D.P.Q. est d’avis que le questionnaire rempli par la plaignante contrevient à la Charte en ce qui concerne plus spécifiquement le poste de psychologue qu’elle désirait occuper.

  1. Les ordonnances

La Commission demande à la T.D.P.Q. d’émettre plusieurs ordonnances. Notamment, elle demande que le questionnaire soit révisé par l’Employeur et qu’il soit uniquement administré après qu’une offre conditionnelle soit formulée. Malgré le fait que l’Employeur ait déjà modifié le questionnaire, la T.D.P.Q. ordonne que le formulaire soit révisé, mais uniquement pour le poste de psychologue. À la date de l’audience, l’Employeur n’administrait le questionnaire que lorsqu’une offre conditionnelle était formulée.

La Commission demande également que l’Employeur ne conserve plus les questionnaires remplis par d’autres candidats, considérant qu’ils sont illégaux. La T.D.P.Q. ordonne que le questionnaire rempli par la plaignante uniquement soit détruit, puisque l’admission de l’Employeur quant à l’illégalité du questionnaire concernait seulement le questionnaire rempli par la plaignante pour le poste de psychologue.

  1. Les dommages

La Commission réclame aussi 8 000 $ à titre de dommages moraux et 10 000 $ à titre de dommages punitifs. Considérant le fait que la plaignante a été choquée par le caractère intrusif du questionnaire, la T.D.P.Q. accueille la demande de compensation pour les dommages moraux. Cependant, à cause de l’absence d’une preuve élaborée du préjudice causé, elle réduit le montant à 4 000 $. La T.D.P.Q. refuse d’octroyer des dommages punitifs, car il y a absence d’atteinte illicite et intentionnelle des droits fondamentaux de la plaignante.

  1. Conclusion

À la lumière de cette décision, la leçon à retenir pour les employeurs est qu’au moment de rédiger les questionnaires médicaux pré-embauche, la prudence est de mise. Si les questions n’ont aucun lien avec le poste concerné, le questionnaire pourrait fort probablement être déclaré illégal et l’employeur pourrait être condamné à payer des dommages compensatoires.

 


[1] 2017 QCTDP 2

[2] Id. par. 44.