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Cameron ressources humaines
Gros salaire, grosse performance au travail?
Le salaire. Il a pour but premier de compenser les salariés pour le temps, les efforts et les talents qu’ils dispensent au travail, jour après jour. Et est, par le fait même, au coeur du système des ressources humaines. Nous sommes tous d’accord sur ce point, j’imagine.
En toute logique, le salaire peut donc servir de levier pour la performance de chaque employé. En ce sens qu’il peut être a priori un bon moyen pour voir quelqu’un décupler d’efforts au travail : une prime alléchante, ou encore la promesse d’une hausse salariale conséquente, et hop!, le tour est joué. Logique, n’est-ce pas?
Eh bien, il convient peut-être d’y regarder à deux fois. C’est que Jacques Forest, professeur de psychologie organisationnelle à l’ESG de l’UQÀM, a eu la gentillesse de me faire parvenir l’une de ses dernières études, intitulée Show them the money? The role of pay, managerial need support, and justice in a self-determination theory model of intrinsic work motivation. Il a cosigné celle-ci avec : Hallgeir Halvari, professeur de psychologie organisationnelle à la Faculté Buskerud & Vestfold à Hønefoss (Norvège), assisté de son étudiante Anja Olafsen; et Edward Deci, professeur de psychologie à l’Université de Rochester (États-Unis). Et vous allez voir qu’elle réserve quelques surprises à ceux qui croient que l’argent est un moteur essentiel de la motivation, et donc de la performance, au travail…
Ainsi, les quatre chercheurs ont demandé à 166 employés d’une institution financière norvégienne, dont l’identité n’est pas divulguée dans l’étude, de bien vouloir remplir un questionnaire détaillé. Celui-ci visait à évaluer différents critères personnels, mais surtout à regarder l’influence que ceux-ci pouvaient avoir les uns sur les autres.
De quels critères s’agissait-il? Les voici :
> Salaire. Chaque participant devait indiquer combien il touchait, en incluant, entre autres, les éventuels bonis.
> Management. Chacun devait indiquer dans quelle mesure il se sentait bien dans l’équipe dans lequel il évoluait, en apposant un chiffre de 1 (en complet désaccord) à 7 (en complet accord) à des affirmations du genre «Je me sens compris par mon manager».
> Justice salariale individuelle. Chacun devait indiquer dans quelle mesure il pensait que la politique salariale était juste en ce qui le concernait, en apposant un chiffre de 1 (en complet désaccord) à 7 (en complet accord) à des affirmations du genre «Mon salaire est approprié compte tenu des efforts que je fournis au travail».
> Justice salariale globale. Chacun devait indiquer dans quelle mesure il pensait que la politique salariale était globalement juste au sein de son entreprise, en apposant un chiffre de 1 (en complet désaccord) à 7 (en complet accord) à des affirmations du genre «Les procédures d’établissement des salaires sont appropriées là où je travaille».
> Besoins psychologiques fondamentaux. Chacun devait indiquer dans quelle mesure il était autonome dans son travail et dans quelle mesure il pouvait y exprimer ses talents propres, en apposant un chiffre de 1 (en complet désaccord) à 7 (en complet accord) à des affirmations du genre «Les tâches que je dois accomplir correspondent à ce que je veux faire dans mon travail».
> Motivations intrinsèques. Enfin, chacun devait indiquer dans quelle mesure il était motivé dans son quotidien au travail, en apposant un chiffre de 1 (en complet désaccord) à 7 (en complet accord) à des affirmations du genre «Je fais des efforts au travail parce que ce que je fais est intéressant».
Résultats? Ils sont à la fois simples et fascinants :
> L’importance vitale de la justice salariale globale. Seule la justice salariale globale a un impact significatif sur les motivations intrinsèques d’un salarié. Pourquoi? Parce que les salariés apprécient grandement que les salaires de base soient préétablis dans une grille mûrement réfléchie, et surtout, que la politique salariale soit clairement communiquée à tous. En effet, cette clarté, pour ne pas dire cette transparence, leur donne confiance envers leur employeur, et par suite, les rassure quant au fait que leurs talents propres seront véritablement pris en compte dans l’évaluation de leur travail, ou encore que leurs rapports avec leurs collègues seront sains, et non pas faits de bâtons dans les roues des uns et des autres.
> Ni le salaire ni la justice salariale individuelle. Le montant du salaire d’un employé n’a aucun impact significatif sur ses motivations intrinsèques. Pas plus qu’il n’en a sur sa satisfaction au travail. En conséquence, ce n’est pas parce qu’un salarié touche un gros salaire qu’il va être particulièrement motivé au travail, et donc afficher une performance tout aussi extraordinaire que son salaire. Ni qu’il va en être d’autant plus heureux dans son quotidien au travail. Idem, ce n’est pas parce qu’il est ‘satisfait’ de son salaire qu’un employé va redoubler d’efforts jour après jour, ou encore va bondir de joie chaque matin au réveil à l’idée qu’il va bientôt être au bureau.
> La prépondérance du besoin de connexion. L’une des trois motivations intrinsèques est prépondérante sur les autres dans le quotidien au travail. Laquelle? Eh bien, le besoin de connexion, c’est-à-dire le besoin que nous avons tous d’oeuvrer en harmonie avec les autres éléments de l’écosystème dans lequel nous évoluons. Ce besoin-là est plus important que celui d’exprimer nos talents personnels, ou encore que celui d’être autonome dans notre travail.
«Par conséquent, les entreprises ont tout intérêt à accorder la plus haute importance non pas à ce qui est offert aux employés pour compenser leurs temps, efforts et talents – le salaire et autres primes -, mais à ce qui leur permet de s’épanouir au travail, jour après jour. C’est-à-dire : le feedback positif; la reconnaissance des efforts et des talents mis en oeuvre; l’apprentissage de nouvelles choses; l’écoute attentive de chacun, par exemple à l’aide de questions ouvertes [auxquelles on ne peut répondre ni par ‘oui’ ni par ‘non’]; l’appel à la collaboration de tous pour la résolution de problèmes importants; la prise en compte du point de vue de chacun; ou bien, la possibilité d’évolution au sein de la structure organisationnelle», indiquent les quatre chercheurs dans leur étude.
Et de résumer le tout d’une phrase : «L’équité salariale est certes un élément dont il convient de tenir compte en ce qui a trait à la motivation des employés, mais elle est finalement peu de choses en comparaison avec l’élaboration d’un écosystème propice à l’épanouissement de chacun».
Voilà. Avoir un gros salaire, c’est agréable, c’est sûr. Mais ce n’est pas pour autant que l’on va se sentir épanoui dans ce qu’on fait, ni qu’on va redoubler d’efforts sans même s’en rendre compte. Bien au contraire. Car l’important n’est pas là. Il est essentiellement dans le réseau de connexions que représente l’entreprise dans laquelle on oeuvre : plus ce réseau est harmonieux, plus il nous incite à donner notre 110%. C’est aussi simple que ça.
Que retenir de tout ça? Ceci, à mon avis :
> Qui entend voir ses employés jubiler au travail se doit non pas de leur donner de gros salaires, mais leur offrir un milieu de travail tripant. Il lui faut mettre une croix sur l’idée reçue selon laquelle nous courons tous après l’argent, à en perdre haleine. Et se faire à l’idée que l’idéal au travail, pour chacun de nous, est d’avoir l’occasion d’exprimer nos talents propres, d’être autonomes dans l’accomplissement de notre travail et de nous sentir à la bonne place au sein de l’écosystème dans lequel nous évoluons. Bref, de grandir en harmonie avec les autres, et non pas au détriment de qui que ce soit.
En passant, l’écrivain français Tristan Bernard a dit dans Le Poil civil : «C’est aussi bête de mépriser l’argent que de l’adorer».