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La génération Z n’existe pas (encore)
Quand nous avons publié, avec Julia Tissier, notre essai La Génération Y par elle-même, nous étions en janvier 2012 et les médias français découvraient ce qu’était la “gen Y”, qu’aujourd’hui on ne présente plus. À l’époque déjà, on s’interrogeait sur la trajectoire des suivants, baptisés les Z, dont on soupçonnait qu’ils seraient pareils que leurs aînés, en pire.
Trois ans plus tard, on n’en sait pas tellement plus sur les Z et pour cause: ils étaient au collège, ils sont désormais au lycée. Pourtant, les études se multiplient sur cette frange de la population encore en gestation. Comme pour leurs aînés, il n’y a pas de repères temporels précis pour identifier les bornes de la génération et les experts s’accordent sur la deuxième moitié des années 90 et le début des années 2000 pour dater leur naissance.
La génération Z a donc entre 15 et 20 ans en 2015. Un âge qui permet de faire des paris sur ses comportements à l’avenir mais pas d’analyser en profondeur des modes de vie. Même la dénomination de cette génération n’est pas définitive. Ils pourraient être baptisés la “homeland generation”, pour leurs aspirations à la sécurité post-11 septembre, ou bien la “rainbow generation”, en raison du métissage qui les caractérise.
Autre option intéressante: ils pourraient récupérer l’appellation de millenials ou de digital natives, les autres noms qu’on donne à la génération Y mais qu’elle ne mérite pas vraiment. En effet, les natifs des années 80 et du début des années 90 étaient déjà de grands enfants voire de jeunes adultes quand le millénaire a débuté, et ne sont pas nés un iPhone dans les mains. La majorité d’entre eux n’ont eu un téléphone portable et une connexion Internet qu’au lycée. Ils ont connu les VHS, la ligne fixe et les disquettes d’ordinateur -et font la transition entre l’ancien et le nouveau monde. Les vrais digital natives sont donc les ados d’aujourd’hui qui n’ont jamais connu la vie sans Internet.
Seulement voilà, les Y ont pris le train en marche et se sont appropriés à grande vitesse tous les outils digitaux lorsqu’ils sont apparus. Si bien qu’en arrivant sur le marché du travail, ils ont bouleversé des méthodes ancestrales, en voie d’obsolescence, car non adaptées à un univers connecté et à une vision horizontale de l’entreprise. Ils ont donc une petite longueur d’avance (ce qui signifie qu’ils essuient aussi beaucoup de plâtres) puisque, pendant que leurs jeunes frères et sœurs passent leur bac, ils arrivent petit à petit à des postes de décision, les plus âgés d’entre eux ayant maintenant 35 ans.
Bien sûr, certains Z se sont déjà fait une place hors des bancs de l’école et seront sans doute des modèles à suivre pour le futur, d’autant qu’ils apprennent vite, encore plus vite que les Y. Une Tavi Gevinson -qui entame déjà une deuxième carrière à 19 ans– ou bien une Kendall Jenner, sont emblématiques de ces ados et post-ados qui pulvérisent les codes de la carrière à la papa en devenant des entreprises à eux tout seuls. Toutefois, leurs parcours sont encore très exceptionnels: à leur âge, la majorité des gens se contentent d’aller en cours ou s’interrogent sur le sens à donner à leur vie. Difficile d’en tirer des conclusions, il s’agit davantage d’intuitions.
De plus, cette débrouille et cette créativité n’ont rien de neuves: Mark Zuckerberg a révolutionné la vie de toute la planète depuis sa chambre d’étudiant, et on ne compte plus les exemples de success stories qui se sont développées grâce au Web à partir d’une bonne idée. Applis de dating, box, cagnottes, vide-dressings, médias… il n’y a presque plus aucun secteur qui ait échappé à la révolution entrepreneuriale digitale. Et leurs CEO sont plus proches de la trentaine que de la vingtaine.
Toutes les caractéristiques des Z (incapacité à se concentrer, défiance envers l’entreprise, mélange de la vie digitale et de la vie réelle) seront peut-être exacerbées lorsqu’ils arriveront à leur tour dans l’entreprise, mais elles sont déjà très présentes chez leurs aînés.
La révolution générationnelle qui est en cours est bien celle des Y, qui sont devenus adultes au début du millénaire, se confrontent à des structures héritées du XXème siècle et les bousculent avec des codes neufs. Pour Michel Serres, auteur de Petite Poucette, l’apparition du Web n’est pas comparable à celle de la télé ou de la radio mais à celle de l’écriture et de l’imprimerie, et constitue la troisième mutation fondamentale que connaît l’humanité.
La rupture que vivent les Y est en effet historique. Malgré quelques différences (une demi-génération les sépare), la génération Z est davantage une sous-catégorie de la génération Y qu’une nouvelle génération en soi. Même précarité, même mobilité, même connectivité, même inventivité… Certes plus poussée, mais davantage dans la continuité que dans la rupture.
Actuellement, ce sont les Y qui explorent le monde en mutation, mais nul doute qu’ils ouvrent la voie à leur petits frères et sœurs, qui, quelle que soit leur dénomination finale, pénètreront dans une brèche déjà bien ouverte.