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La légalisation du la marijuana et ses impacts sur les milieux de travail
Le 13 avril 2017, le gouvernement fédéral déposait deux (2) projets de loi ayant pour effet de légaliser et d’encadrer la consommation récréative de marijuana. Selon toutes vraisemblances, ces projets de loi devraient entrer en vigueur dès le 1er juillet 2018. À l’heure actuelle, il est difficile d’anticiper l’impact réel qu’aura cette nouvelle législation sur la consommation des travailleurs québécois ainsi que les problèmes de dépendance qui pourront en découler. À tout évènement, force est de conclure que la légalisation de la marijuana suscite nombre d’inquiétudes et de questionnements auprès de multiples employeurs, dont plusieurs du milieu municipal, lesquels devront s’y adapter dans un avenir de plus en plus rapproché.
Dans ce contexte, nous analyserons les effets anticipés de la légalisation de la marijuana au sein de milieux de travail. Nous aborderons également les limites actuelles des tests de dépistage et l’importance pour les employeurs de se doter de politiques adaptés à leurs besoins. Nous terminerons par partager nos recommandations afin de permettre aux employeurs d’être bien préparés à l’arrivée de ce vent de changement.
LES EFFETS ANTICIPÉS DE LA LÉGALISATION DE LA MARIJUANA
À l’heure actuelle, il demeure difficile d’anticiper clairement les impacts que la légalisation de la marijuana aura sur les milieux de travail. Ceci dit, en se fondant sur l’expérience des juridictions ayant déjà légalisé la consommation récréative de cette substance[1], il est possible de tirer certains constats.
D’abord, de façon générale, dans les pays où la marijuana fut légalisée, la consommation générale de la population a également augmentée. Il est donc possible de conclure que cette consommation risque également d’augmenter au sein des travailleurs québécois.
Dans ce contexte, il est également possible d’anticiper une recrudescence des accidents du travail reliés à la consommation de drogue et ce, plus spécifiquement pour les postes requérant mobilité et coordination et où la perception et la sensibilité d’un travailleur sont des facteurs importants. À cet égard, soulignons d’ailleurs qu’avant même la légalisation de la marijuana, le Centre patronal de santé et de sécurité estimait que l’abus de substances psychotropes entraînait de deux (2) à trois (3) fois plus de risques d’accident du travail.[2]
Une augmentation de la consommation de marijuana auprès des travailleurs québécois risque aussi de présenter de nombreux défis aux employeurs en ce qui a trait à l’absentéisme et à la productivité. En effet, avant même la légalisation de la marijuana, le Centre patronal de santé et de sécurité estimait que la consommation de substances psychotropes et d’alcool entraînait une perte de productivité de plus d’un (1) milliard de dollars annuellement et entraînerait un taux d’absentéisme trois (3) fois plus élevé que la moyenne ainsi qu’un rendement inférieur de 30 % à la moyenne. Il est inquiétant de constater que ces statistiques risquent de s’accroître une fois la marijuana légalisée.
Soulignons également qu’une plus grande consommation de manière générale pourrait avoir pour effet d’engendrer davantage de problèmes liés à la dépendance. À cet égard, soulignons que l’état du droit actuel au Québec considère la dépendance à toute drogue comme un « handicap » au sens de la Charte des droits et libertés de la personne pour lequel tout employeur doit accommoder l’employé touché jusqu’à la contrainte excessive. Cet accommodement pourrait, par exemple, impliquer de permettre à un employé de suivre une de réhabilitation avant de mettre fin à son emploi.
LES TESTS DE DÉPISTAGE ET LEUR LIMITES
À l’heure actuelle, il y a lieu de s’inquiéter quant à la fiabilité et la disponibilité des moyens mis à la disposition des employeurs afin de tester la consommation de leurs employés.
D’abord, soulignons que la Cour suprême du Canada a décrété que même dans les milieux dangereux, un employeur ne peut que de façon exceptionnelle tester de façon aléatoire ses employés[3]. Il est toutefois loisible aux employeurs de tester la consommation de drogue ou d’alcool de leurs employés dans les contextes suivants :
- Si l’employeur a un motif raisonnable de croire que l’employé a les facultés affaiblies dans l’exercice de ses fonctions et ce, via l’analyse de critère objectifs tels que l’odeur, la démarche etc.;
- Si l’employé a été impliqué directement dans un accident ou un incident grave;
- Si l’employé reprend du service après avoir suivi un traitement pour combattre l’alcoolisme ou la toxicomanie.
En ce qui a trait au dépistage de la marijuana, les fenêtres de détection du THC varient de façon importante selon le mode de dépistage choisi (salive, sang, urine). En effet, la fenêtre de détection pour la salive varie de trois (3) à six (6) heures après la consommation. En ce qui a trait à la détection par le sang, la fenêtre de détection est de moins de six (6) heures après la consommation. Quant aux dépistages par l’urine, ceux-ci peuvent détecter le THC jusqu’à trente (30) jours après la consommation.
Or, seul le monde de dépistage par voie sanguine permet actuellement de déterminer un pourcentage clair de THC dans le sang de l’individu testé. Les autres modes de dépistage ne permettent que de déterminer si une personne a consommé et non si elle a les facultés affaiblies[4]. Soulignons également que ce mode de dépistage est particulièrement intrusif et soulève des questions quant à son impact sur la vie privée de l’employé visé.
LES POLITIQUES DE DROGUES ET D’ALCOOL
En ce qui a trait au contrôle de la possession et de la consommation de drogues et d’alcool en milieu de travail, les politiques de drogues et d’alcool sont incontournables.
En effet, celles-ci s’avèrent un outil essentiel permettant aux employeurs de s’assurer que leurs employés sont aptes à fournir leur prestation de travail de façon convenable et sécuritaire et ce, conformément à leurs droits de gérance.
Dépendamment des besoins distincts de chaque organisation, celle-ci pourrait prohiber la possession, la vente, le trafic et la consommation de marijuana. Cependant, afin qu’une politique soit valide, elle doit être adaptée aux exigences des postes de chaque employé.
À titre d’exemple, tout comme en matière de consommation d’alcool, il pourrait être opportun de prôner la « tolérance zéro » pour un employé occupant un poste à risque alors qu’une telle approche pourrait être considérée abusive pour un employé pour lequel il est généralement permis de consommer de l’alcool en dehors des heures de travail.
Dans ce contexte, chaque organisation devra se positionner selon ses besoins et exigences respectives et adapter ses politiques actuelles afin de s’adapter à cette nouvelle réalité.
LES RECOMMANDATIONS
À la lumière de ce qui précède, nous sommes d’avis que les employeurs devraient prendre les actions suivantes en vue de l’entrée en vigueur des projets de loi fédéraux et québécois relatifs à la légalisation de la marijuana:
- Analyser leurs besoins en termes de politiques et adapter les exigences aux postes au sein de leur organisation. Réviser les politiques selon les amendements législatifs qui entreront en vigueur à l’été 2018;
- Réviser leurs politiques concernant les drogues et l’alcool afin de clarifier leurs attentes quant à la possession et la consommation de leurs employés sur les lieux et à l’extérieur du travail;
- S’assurer d’adopter une approche de « tolérance zéro » pour tout employé appelé à conduire un véhicule dans le cadre de ses fonctions;
- Procéder à des formations sur la mise à jour des politiques et s’assurer que celles-ci soient rappelées aux employés de façon annuelle;
- Effectuer un suivi disciplinaire rigoureux de tout employé en contravention de la politique.
[1] Pays-Bas, Suisse, Italie, Allemagne, Uruguay, Porto Rico, Catalogne, Oregon, Washington, District of Columbia, Alaska, Colorado, Nevada et Californie.
[2] Thérèse Bergeron, « Quand l’usage devient abus », Convergence 23 : 4 (novembre 2007) 6 à la p 8, en ligne : http://www.centrepatronalsst.qc.ca/documents/pdf/conv_nov_07.pdf.
[3] Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34
[4] Docteur Frédéric Benoît, Neuroscience, présentation donnée chez Fasken Martineau Dumoulin le 31 mai 2017.